Yoga et santé: est-il vraiment une méthode miracle adaptée à tous ?

Yoga et Santé vont de pair, en tout cas c’est l’un des arguments marketing les plus utiliser pour en vanter les mérites. Sur les réseaux sociaux, dans la presse santé grand public, dans des articles de blog, le yoga n’est jamais présenté comme une activité de divertissement mais bien comme bénéfique pour la santé physique et psychique de toute et tous. Mais sous quelles conditions est-ce vraiment le cas?

Bien souvent les postures de yoga sont présentées comme des recettes miracles grâce auxquelles les pratiquants espèrent prévenir ou être soulagés de nombreux maux. Internet regorge ainsi d’une multitude de programmes tout fait, pour soulager les douleurs sciatiques, les cervicales, les lombaires, le stress, l’endométriose, etc. Bref à chaque problème une solution grâce au yoga!

Raisonner ainsi revient à croire qu’il existe une posture magique pour chaque affection. C’est oublier les causes souvent multifactorielles d’une douleur, et le fait que chaque personne est différente. Une solution unique et efficace pour tout le monde n’existe pas. Pour répondre à un problème de santé, un bilan médical global et spécifique doit-être établi avant tout.

Toutefois, pratiqué dans le cadre d’une pathologie, le yoga adapté de manière spécifique est souvent d’une grande aide. Pour ce faire, le professionnel doit être formé au yoga dans un premier temps, et avoir acquis une expérience suffisante des principes fondamentaux qui le régissent. Dans un second temps il convient qu’il soit formé à l’application du yoga dans le cadre pathologique. Il ne s’agit pas de transformer les postures pour pouvoir pratiquer quand même, au risque d’aggraver insidieusement les symptômes, mais bien de pratiquer un yoga adapté de manière spécifique, pour aider à soulager.

« c’est le yoga qui doit s’adapter à l’individu et non l’inverse »!

TKV Desikachar

Adapter le yoga même quand il n’y a pas de problème de santé, c’est le viniyoga

Même en dehors de toute affection, « c’est le yoga qui doit s’adapter à l’individu et non l’inverse »!

Cette phrase du professeur de yoga TKV Desikachar (1) est souvent mal interprétée quand elle amène à penser qu’une brique, des coussins et d’autres ustensiles suffiront pour adapter le yoga à une personne.

Adapter le yoga demande :
– d’avoir connaissance des possibilités et des limites du public concerné
– de prendre le temps d’entrainer le corps, la physiologie et le mental, à l’exécution de postures plus avancées grâce à des postures qui y préparent
– de s’interroger sur la réelle pertinence de proposer certaines postures

Tout cela nécessite d’avancer par étapes, d’un terrain conquis à une autre.
Il s’agit de construire une progression pérenne et réellement en faveur de la santé après avoir déterminé le point de départ et un objectif intelligent. Construire ce genre de progression demande de savoir classifier les postures par indications, contre-indications, par niveau de difficulté et de dangerosité (oui le yoga peut faire mal).
Il convient également d’adapter les postures sans en perdre les bénéfices. Malheureusement, l’aide d’une brique ou d’une sangle reste bien souvent une startégie pour proposer des postures, malgré les possibilités et les besoins réels des pratiquants. L’utilisation de matériel simple peut représenter une étape intermédiaire si elle permet de progresser et de s’émanciper du matériel. Mais il faut s’interroger sur la nécessité de proposer des postures qui ne seraient pas réalisables sans aide extérieure. Et surtout, n’est-on pas en train d’ouvrir la porte à une pratique du yoga, plus flatteuse pour l’ego que bénéfique pour la santé?

Le yoga est une méthode de prévention et de maintien de la santé quand il est adapté aux conditions de la personne qui le pratique, sinon, au mieux il ne montrera pas d’effet, au pire il sera délétère.

8 paramètres à prendre en compte pour un yoga adapté et bénéfique pour la santé

C’est dans ce sens que le texte de référence du yoga en rapport avec la santé, le yogarahasya de Nāthamuni (2), énonce différents paramètres à prendre en considération. Il offre la possibilité de déterminer la meilleure manière de pratiquer le yoga en fonction des individus. Ces paramètres sont:

• la constitution physique
• le lieu de vie (climat, environnement)
• le temps, le moment
• l’âge, l’étape de la vie
• le sexe, le genre
• les activités de vie, la profession, la manière d’être, le comportement
• le niveau d’énergie, les capacités intrinsèques
• l’orientation personnelle de l’individu

On retrouve dans ce même texte, une proposition d’application du yoga en rapport avec 3 étapes fondamentales de la vie:

1- Le yoga appliqué aux enfants et aux jeunes

( ṣṛṣṭi krama prononcé „shrishti krama“) de 3 à 25 ans environ.

Il s’agit de favoriser une croissance équilibrée autant sur le plan physique que psychique. Les postures sont enchainées de manière sportives, souvent à l’aide de sauts. L’approche est à la fois ludique et challengeante pour répondre à l’énergie naturellement débordante de ce jeune public. Les enchainements sont construits de manière à induire naturellement la succession des phases inspiratoires et expiratoires. Ainsi il convient de toujours enchainer une posture en flexion ou en torsion après une posture en extension.

Les techniques respiratoires propres au yoga (prānāyāma) ne sont pas enseignées durant cette étape de la vie. Considérant que les jeunes doivent d’abord être encouragés à l’activité et au dynamisme afin de renforcer leur constitution, leur imposer l’immobilité et l’introspection n’est pas particulièrement indiqué. Les valeurs du yoga telles que les règles de comportement, de vie en société, de respect de soi et d’autrui (yama et nyama), leur sont transmises durant des temps plus calmes, au travers de contes où la symbolique des postures prend toute sa place. Les invitant ainsi progressivement à adopter des valeurs vertueuses de persévérance, d’honnêteté et d’altruisme.

2- Le yoga du maintien des capacités

En lien avec l’âge adulte (sthiti krama). Les capacités acquises lors de la croissance doivent perdurer le plus longtemps possible afin de mener une vie d’adulte épanouïe et en pleine santé . Le terme «sthiti» signifie «se tenir debout», «maintenir avec fermeté». Un travail plus spécifique de la respiration est introduit afin de développer encore plus de maîtrise et de stabilité aux niveaux corporel, physiologique et psycho-émotionnel.

3- l’application du yoga lors de la dernière étape de la vie

Ce type de yoga prépare à l’intériorité et amène à se détacher des désagréments liés à l’âge (antyaḥ krama) (après 85 ans en moyenne). Sans pour autant négliger l’aspect physique, cette application du yoga est plus tournée vers l’introspection et une forme de réalisation spirituelle.

À notre époque et dans le contexte occidental, ces 3 modalités d’application ne suffisent pas à orienter vers une pratique de yoga adaptée.

Viniyoga: 6 modalités d’application afin d’ adapter le yoga et en faire un vrai allié santé

En plus de la prise en considération des 8 paramètres précédemment cités, on retrouve dans le viniyoga (4), une classification du yoga en 6 modalités d’application. Les 2 dernières sont devenues incontournables et peuvent intervenir à n’importe quelle étape de la vie.

1- Le yoga pour les jeunes :

ṣṛṣṭi krama qui reste le même que celui décrit plus haut.

2- Le yoga de la perfection :

śikṣaṇa krama
Il est proposé aux jeunes adultes ayant bénéficiés de l’enseignement du ṣṛṣṭi krama et dont la pratique peut être poussée à la perfection. L’objectif est d’atteindre un niveau d’excellence autant aux niveaux physique, physiologique et psychologique. Il est destiné à une catégorie d’élite à la cherche de l’ équilibre le plus performant. Les postures sont exécutées de manière parfaite. Le rythme respiratoire y est très exigent. Ce yoga est clairement inaccessible à la plupart des gens sans risque de blessure.

3- Le yoga de l’intériorité :

Adhyātmika krama                                                                                                                                                                                                                                                               Il correspond aux personnes déjà avancées en âges et dans une recherche spirituelle profonde. On peut l’assimiler au yoga de la dernière étape de la vie (antyaḥ krama) cité plus haut.

4- Le yoga des pouvoirs spéciaux :

śakti-krama                                                                                                                                                                                                                                                                        Cité uniquement pour mémoire. On raconte que T.Krishnamacharya (5) refusa d’enseigner ces techniques, même à ses enfants, expliquant que cela était totalement inutile à la société.

5- Yoga et santé, le yoga du maintien et de la prévention :

rakṣana krama
Rakṣana signifie «protéger », c’est la modalité d’application du viniyoga qui intéresse les professionnels de santé et la plupart des gens. Son objectif est le maintien ou l’amélioration de ce qui fonctionne, mais aussi la prévention de l’apparition de troubles futurs. Une multitude d’adaptations et de variantes y sont possibles tant sur le plan postural que sur le plan respiratoire, amenant ainsi à une grande varité de pratiques.

Cependant, pour vraiment répondre à la notion de protection, il est nécessaire d’évaluer les capacités et les besoins du public rencontré. Quid des cours collectifs, ouverts à tous sans pré-requis? Puisque le yoga n’est pour ainsi dire jamais vendu comme une activité de divertisement mais toujours comme une activité bénéfique pour la santé, la logique voudrait que le professeur de yoga évalue chaque personne avant son entrée dans un cours collectif.

6- Yoga et santé, l’application du yoga adapté face à un problème de santé :

cikitsā krama
C’est le yoga pratiqué dans le cadre d’une pathologie. Il est d’une grande aide si spécifiquement adapté à la personne et à la pathologie qu’elle rencontre. L’idée est ici d’utiliser le yoga comme soutien complémentaire aux traitements mis en place. Grâce à des postures, à des exercices respiratoires et des exercices de focalisation de l’attention judicieusement sélectionnés, ce type d’application du yoga permet de travailler sur les aspects physique et physiologique mais aussi sur les aspects comportementaux et psychologiques. Le cadre bien particulier d’un problème de santé nécessite une évaluation précise et spécifique des besoins et des capacités de la personne, afin de lui proposer un protocole d’exercices de yoga personnalisés. Il faut éradiquer les contraintes aggravatrices des postures pour en obtenir les bénéfices. Cela nécessire d’avoir une connaissance précise des postures classiques pour savoir les modifier intelligemment. L’intention est d’amener progressivement vers l’amélioration des symptômes quand c’est possible, ou vers l’amérlioration du vécu de la pathologie. Cela demande d’avoir acquis une expérience suffisante en yoga d’une part, puis d’avoir été formé de manière spécifique à l’utilisation du yoga dans le cadre pathologique.

«Il faut éradiquer les contraintes aggravatrices des postures pour en obtenir les bénéfices.»

Yoga et santé: ce n’est pas une solution universelle

En conclusion, bien que le yoga soit largement présenté comme une solution universelle aux maux physiques et émotionnels, il est essentiel de comprendre que cette pratique ne peut se réduire à des recettes toutes faites. Le yoga, pour être véritablement bénéfique, doit être adapté aux spécificités de chaque individu, en tenant compte de l’âge, de la condition physique, des besoins et des capacités. La diversité des approches et des modalités de pratique proposées par le viniyoga, montre qu’il est une réponse personnalisée et évolutive du yoga en fonction du public rencontré. Il est crucial d’éviter de considérer le yoga comme une panacée. L’application intelligente du yoga nécessite une compréhension profonde des principes qui le régissent et de ce qu’il peut apporter, en considérant les enjeux individuels des pratiquants. En cela, un enseignement éclairé et une pratique adaptée, tant pour les personnes en bonne santé que pour celles souffrant de pathologies, sont indispensables pour éviter les risques et maximiser les bienfaits. Le yoga ne doit pas devenir une pratique acrobatique aberrante, dépendante de matériel ou flatteuse pour l’ego, mais un moyen d’équilibrer le corps et le mental de manière fonctionnelle et durable. Au final, comme le soulignent les textes anciens, le yoga est un outil puissant de prévention et d’amélioration de la santé globale. Il est accessible à toutes et à tous quand son application est intelligemment mise au service de celui ou celle qui le pratique.

Tout ceci peut être résumé par l’ aphorisme II.16 des yoga sūtra de Patañjali 
«Tasya bhūmiṣu viniyogaḥ» 

«L’usage du yoga se fait selon celui qui le reçoit».

Article écrit par Nathalie Soyer, masseur-kinésithérapeute

formatrice en yoga pour les kiné, les pro de santé et les pro de l’activité physique.

Notes et références

1 . TKV Desikachar (1938-2016) fils T Krishnamacharya. TKV Desikachar est initialement ingénieur en génie civil , c’est en 1960 qu’ il devient professeur de yoga tout en restant élève de son père durant 30 ans. Il diffusa largemenent l’enseignement du yoga en europe et aux Etats Unis.
2 . Le yogarahasya de Nāthamuni est un texte daté du 9ème siècle initialement perdu, puis transmis par T Krisnamacharya. C’est le texte fondamental du yoga en rapport avec le maintien et le retour à la santé.
3 . Le viniyoga est un terme introduit par Desikachar à l’issue de la conférence de Zinal en 1989 quand ses élèves occidentaux s’interrogeaient sur le nom qui devrait être donné au yoga de Krishnamacharya, transmis en occident. Le terme viniyoga signifie «application du yoga», «mise en oeuvre du yoga», «méthode avec laquelle le yoga sera employé». Il s’agit donc bien d’une forme qui interroge sur la meilleure manière d‘appliquer le yoga en fonction du contexte et de la personne qui le pratique.
4 . T.Krishnamacharya (1888-1989) professeur de yoga et spécialiste de la philosophie indienne, il est considéré comme l’un des pères du yoga moderne et a grandement contribué à l’expansion du yoga en occident. Il a eu de nombreux élèves tels que Pattabhi Jois (ashtanga yoga), BKS Iyengar (yoga Iyengar), Indra Devi, ainsi que 2 de ses fils TKV Desikachar et Sribhashyam.
5 . Le yoga sūtra de Patañjali est un texte estimé entre -200 av JC à +500 ap JC. Composé de 195 aphorismes décrivant les principes du fonctionnement mental, il explique comment la philosophie du yoga intégrée dans notre vie, peut aider à nous éloigner des causes de souffrance.